Les décideurs algériens, civls et militaires, hésitent un moment, puis tranchent : Alger va accueillir les proches d’El Gueddafi en fuite. Voici les détails de l’opération secrète baptisée «Le Roi».
Oran Illizi et
Djanet
de notre envoyé
Dix véhicules tout-terrain blindés roulent à tombeau ouvert depuis Tripoli, la capitale libyenne, direction plein Sud : 1500 km, via les villes libyennes de Gherbane et de Sebha, pour atteindre la région du Ghatt près de la frontière algérienne. Le mois d’août 2011 tire à sa fin et sur cette longue route désertique, la température avoisine les 48°C. Les proches d’El Gueddafi fuient la Libye en proie à la guerre qui va faire tomber le guide. C’est le colonel Mansour Al Dhou qui a choisi la route la plus longue vers la frontière algérienne pour éviter tous les autres chemins aux mains des «révolutionnaires».
Cet officier a été chargé par El Gueddafi en personne de sécuriser le convoi qui doit mener ses proches en Algérie et le colonel a, à son tour, ordonné à un capitaine des forces spéciales, Ali Al Khoss, de mener l’opération. A une distance de 50 km, un second convoi de véhicules chargés de gardes, de provisions en eau et en carburant suit les 4x4 blindés de la famille El Gueddafi. Cette garde, avec leur chef, le capitaine Al Khoss, revient à Tripoli aux côtés du guide, quand les proches d’El Gueddafi ont enfin atteint Tinalkoum, côté algérien.
Lettre top secret d’Alger
De l’autre côté de la frontière : Djanet, dernière semaine d’août. Le colonel S. vient d’atterrir après avoir reçu une instruction à Ouargla, où est il est détaché à l’antenne régionale du DRS, plus précisément de la direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA). Sa mission : se rendre sur les lieux par avion militaire avec huit éléments et attendre de nouveaux ordres une fois à Djanet. Le colonel S. trouve sur place un autre officier du DRS, venu d’Alger par vol militaire, pour lui remettre une enveloppe scellée à n’ouvrir qu’à la réception d’un ordre codé. S. comprend tout de suite qu’il s’agit d’une mission importante et top secret, certainement en relation avec la guerre en Libye.
D’autant que le chef du secteur militaire d’Illizi et le wali viennent, eux aussi, d’arriver à Djanet avec pour mission de faciliter le travail des envoyés des services spéciaux. Pendant ce temps à Alger, le DRS a déjà formé une cellule de suivi de l’opération, en coordination avec certaines parties en Libye. Au soir du 28 août 2011, un bref appel d’Alger ordonne d’ouvrir l’enveloppe scellée où se trouvent les détails de l’opération «Le Roi». Le colonel S. est chargé, avec son équipe venue de Ouargla, d’assurer la sécurité d’«invités de l’Algérie» qui arriveront le lendemain matin par Tinalkoum et de les convoyer vers Alger.
Le lendemain matin, Safia El Gueddafi, l’épouse du guide, sa fille Aïcha, en fin de grossesse, ses fils Mohamed et Hannibal, avec leurs enfants et leurs épouses, entrent sur le territoire. Les proches d’El Gueddafi restent une journée à Djanet dans une résidence officielle, tenus au secret, alors que Aïcha accouche d’une petite fille, assistée par un médecin civil. Le colonel S. se chargera de cette mission durant encore 24 mois, alors que les Gueddafi habitent discrètement la résidence présidentielle de Bousfer à Oran sous très haute surveillance, avant le départ d’Algérie d’une partie de la famille en septembre 2013.
Négociations
C’est à partir de fin juillet 2011 que les négociations entre Alger et El Gueddafi ont commencé pour héberger une partie de sa famille. «Des dignitaires libyens ont demandé à la France d’ouvrir un couloir aérien ou maritime pour évacuer des civils proches d’El Gueddafi (qui voulait fuir vers un pays de l’Europe de l’Est) ou d’autres civils pour quitter Tripoli, mais Paris a répondu que la seule manière de quitter Tripoli est de se rendre aux révolutionnaires ou carrément rejoindre leurs rangs. Après le refus français, il ne restait comme destination que le Niger ou chez nous», indique un haut responsable algérien.
Les Libyens ont pris attache avec Alger dès la notification française, mais les Algériens avaient des conditions fermes : pas de transferts importants d’argent ou de bijoux et pas de présence d’hommes armés, quel que soit leur grade. Et surtout que la famille évite de porter atteinte à l’un des pays voisins et qu’elle s’interdise toute activité politique ou publique (ce qui expliquera la colère des Algériens après les sorties de Aïcha). Les contacts ont commencé par téléphone, entre l’entourage d’El Gueddafi et Alger, puis via l’ambassade algérienne à Tripoli.
«Toufik», le spécialiste de la Libye
Faut-il ou pas accueillir les proches d’El Gueddafi, dont le pays subit les attaques de l’OTAN qui soutient les «révolutionnaires» ? Au sommet de l’Etat, où les hauts responsables civils et militaires se réunissent autour de la question, les opposants à l’asile aux Gueddafi sont, dans un premier temps, majoritaires. «Selon eux, l’Algérie en ces temps de révoltes arabes, n’a pas besoin de provoquer les puissances occidentales. Ce serait aussi une provocation au nouveau régime libyen qui bientôt prendra le pouvoir», confie une source. Les pour considèrent, de leur côté, que s’il faut refuser d’accueillir El Gueddafi ou d’autres responsables libyens, y compris ses fils Seif El Islam et Khamis (patron de la 32e Brigade), l’Algérie se doit par devoir humanitaire de donner asile aux autres membres de la famille. «D’autant plus, avancent les mêmes responsables, que les nouvelles autorités libyennes ont déjà provoqué l’Algérie plusieurs fois», rappelle un haut gradé qui précise que «seul le cas d’une condamnation de l’un des proches d’El Gueddafi par un tribunal crédible lui aurait interdit l’accès au territoire national».
Finalement, le président Bouteflika tranche en acceptant d’accueillir la famille : «Une décision où le patron du DRS a pesé de tout son poids, révèle un général à la retraite. Mediène était, par le passé, attaché militaire à Tripoli, mais avant, c’était lui qui gérait le dossier des opposants à El Gueddafi. De plus, pour la coordination des questions sécuritaires du Sahel, il était en contact avec le guide libyen. Les grandes puissances n’ignoraient pas les contacts entre Alger et El Gueddafi, et l’absence de réaction de leur part a été interprétée par les Algériens comme un accord tacite.»
Dix véhicules tout-terrain blindés roulent à tombeau ouvert depuis Tripoli, la capitale libyenne, direction plein Sud : 1500 km, via les villes libyennes de Gherbane et de Sebha, pour atteindre la région du Ghatt près de la frontière algérienne. Le mois d’août 2011 tire à sa fin et sur cette longue route désertique, la température avoisine les 48°C. Les proches d’El Gueddafi fuient la Libye en proie à la guerre qui va faire tomber le guide. C’est le colonel Mansour Al Dhou qui a choisi la route la plus longue vers la frontière algérienne pour éviter tous les autres chemins aux mains des «révolutionnaires».
Cet officier a été chargé par El Gueddafi en personne de sécuriser le convoi qui doit mener ses proches en Algérie et le colonel a, à son tour, ordonné à un capitaine des forces spéciales, Ali Al Khoss, de mener l’opération. A une distance de 50 km, un second convoi de véhicules chargés de gardes, de provisions en eau et en carburant suit les 4x4 blindés de la famille El Gueddafi. Cette garde, avec leur chef, le capitaine Al Khoss, revient à Tripoli aux côtés du guide, quand les proches d’El Gueddafi ont enfin atteint Tinalkoum, côté algérien.
Lettre top secret d’Alger
De l’autre côté de la frontière : Djanet, dernière semaine d’août. Le colonel S. vient d’atterrir après avoir reçu une instruction à Ouargla, où est il est détaché à l’antenne régionale du DRS, plus précisément de la direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA). Sa mission : se rendre sur les lieux par avion militaire avec huit éléments et attendre de nouveaux ordres une fois à Djanet. Le colonel S. trouve sur place un autre officier du DRS, venu d’Alger par vol militaire, pour lui remettre une enveloppe scellée à n’ouvrir qu’à la réception d’un ordre codé. S. comprend tout de suite qu’il s’agit d’une mission importante et top secret, certainement en relation avec la guerre en Libye.
D’autant que le chef du secteur militaire d’Illizi et le wali viennent, eux aussi, d’arriver à Djanet avec pour mission de faciliter le travail des envoyés des services spéciaux. Pendant ce temps à Alger, le DRS a déjà formé une cellule de suivi de l’opération, en coordination avec certaines parties en Libye. Au soir du 28 août 2011, un bref appel d’Alger ordonne d’ouvrir l’enveloppe scellée où se trouvent les détails de l’opération «Le Roi». Le colonel S. est chargé, avec son équipe venue de Ouargla, d’assurer la sécurité d’«invités de l’Algérie» qui arriveront le lendemain matin par Tinalkoum et de les convoyer vers Alger.
Le lendemain matin, Safia El Gueddafi, l’épouse du guide, sa fille Aïcha, en fin de grossesse, ses fils Mohamed et Hannibal, avec leurs enfants et leurs épouses, entrent sur le territoire. Les proches d’El Gueddafi restent une journée à Djanet dans une résidence officielle, tenus au secret, alors que Aïcha accouche d’une petite fille, assistée par un médecin civil. Le colonel S. se chargera de cette mission durant encore 24 mois, alors que les Gueddafi habitent discrètement la résidence présidentielle de Bousfer à Oran sous très haute surveillance, avant le départ d’Algérie d’une partie de la famille en septembre 2013.
Négociations
C’est à partir de fin juillet 2011 que les négociations entre Alger et El Gueddafi ont commencé pour héberger une partie de sa famille. «Des dignitaires libyens ont demandé à la France d’ouvrir un couloir aérien ou maritime pour évacuer des civils proches d’El Gueddafi (qui voulait fuir vers un pays de l’Europe de l’Est) ou d’autres civils pour quitter Tripoli, mais Paris a répondu que la seule manière de quitter Tripoli est de se rendre aux révolutionnaires ou carrément rejoindre leurs rangs. Après le refus français, il ne restait comme destination que le Niger ou chez nous», indique un haut responsable algérien.
Les Libyens ont pris attache avec Alger dès la notification française, mais les Algériens avaient des conditions fermes : pas de transferts importants d’argent ou de bijoux et pas de présence d’hommes armés, quel que soit leur grade. Et surtout que la famille évite de porter atteinte à l’un des pays voisins et qu’elle s’interdise toute activité politique ou publique (ce qui expliquera la colère des Algériens après les sorties de Aïcha). Les contacts ont commencé par téléphone, entre l’entourage d’El Gueddafi et Alger, puis via l’ambassade algérienne à Tripoli.
«Toufik», le spécialiste de la Libye
Faut-il ou pas accueillir les proches d’El Gueddafi, dont le pays subit les attaques de l’OTAN qui soutient les «révolutionnaires» ? Au sommet de l’Etat, où les hauts responsables civils et militaires se réunissent autour de la question, les opposants à l’asile aux Gueddafi sont, dans un premier temps, majoritaires. «Selon eux, l’Algérie en ces temps de révoltes arabes, n’a pas besoin de provoquer les puissances occidentales. Ce serait aussi une provocation au nouveau régime libyen qui bientôt prendra le pouvoir», confie une source. Les pour considèrent, de leur côté, que s’il faut refuser d’accueillir El Gueddafi ou d’autres responsables libyens, y compris ses fils Seif El Islam et Khamis (patron de la 32e Brigade), l’Algérie se doit par devoir humanitaire de donner asile aux autres membres de la famille. «D’autant plus, avancent les mêmes responsables, que les nouvelles autorités libyennes ont déjà provoqué l’Algérie plusieurs fois», rappelle un haut gradé qui précise que «seul le cas d’une condamnation de l’un des proches d’El Gueddafi par un tribunal crédible lui aurait interdit l’accès au territoire national».
Finalement, le président Bouteflika tranche en acceptant d’accueillir la famille : «Une décision où le patron du DRS a pesé de tout son poids, révèle un général à la retraite. Mediène était, par le passé, attaché militaire à Tripoli, mais avant, c’était lui qui gérait le dossier des opposants à El Gueddafi. De plus, pour la coordination des questions sécuritaires du Sahel, il était en contact avec le guide libyen. Les grandes puissances n’ignoraient pas les contacts entre Alger et El Gueddafi, et l’absence de réaction de leur part a été interprétée par les Algériens comme un accord tacite.»